Réplique VEGA sur la Déclaration de politique sociale du CPAS de Liège

Réplique de Céline lambeau, représentante élue de la Coopérative VEGA, à la Déclaration de politique sociale du CPAS de Liège, au Conseil communal du lundi 25 mars 2019.

LE CPAS doit être refinancé, c’est un impératif déjà souligné par mes collègues des autres groupes politiques, je ne reviendrai donc pas là dessus. En revanche, je vais m’arrêter sur différents point de la DPS qui m’interpellent.

1. L’accompagnement individualisé

La DPS prévoit re renforcer l’accompagnement individualisé. L’intention est louable, mais un tel accompagnement, pour porter des fruits, doit être mis en œuvre dans la durée, avec un grande disponibilité des accompagnateurs. Le cadre et le fonctionnement actuel du CPAS empêchent cette disponibilité - 94 dossiers par agent, c’est 2h/mois/dossier, théoriquement cela devrait permettre un accompagnement individuel de qualité... à condition que la totalité du temps de travail des agents puisse être consacrée entièrement à l’interaction avec l’usager, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Au contraire, la spécialisation toujours accrue des services et le turnover important des agents nuit à cette individualisation. Ils sont nombreux, les témoignages de documents perdus, réclamés à plusieurs reprise sans raison objectivable, de dossiers repris à zéro par un nouvel agent, imposant aux usagers de répéter à l’identique des démarches administratives déjà posées quelques mois plus tôt, et qui entraînent une suspension des allocations, sans que l’aide d’urgence soit toujours dégagée et versée rapidement.

Par ailleurs, cette obligation d’Individualisation s’impose aujourd’hui à tous les opérateurs d’accompagnement et d’insertion sociale, avec une dérive régulièrement dénoncée par les travailleurs du secteur : la multiplication des plans individualisés pour un seul et même bénéficiaire, sans véritable prise en considération du plan précédemment établi avec et pour l’usager. Il arrive même qu’un plan déjà mis en œuvre par un opérateur soit invalidé ou profondément modifié par l’opérateur "suivant" pour des raisons liées plutôt aux contraintes réglementaires faites à cet opérateur ou à ses modes de financement qu’à la pertinence du plan établi pour l’avenir de l’usager !

2. Logiciel de gestion

La DPS annonce le passage à un logiciel de gestion unique : je suppose que les logiciels actuels ne satisfont pas les agents, d’où la volonté de se doter d’un nouvel outil, mais j’attire l’attention sur deux problèmes classiquement entraînés par les changements d’outils informatiques :
 les maladies de jeunesse techniques que présentent les outils trop peu éprouvés avant leur mise en application
 les difficultés fréquemment rencontrées par de nombreux travailleurs au moment de la prise en main des nouveaux outils.

Un tel changement suppose une importante préparation technique des agents, qui, si elle est correctement mise en place, sollicitera ces derniers en plus de leur charge de travail déjà importante. Je suppose et j’espère que ces risques ont été anticipés car dans le cas contraire, c’est à nouveau l’usager qui, de manière certaine, pâtira des inévitables tâtonnements techniques, jusqu’à y perdre plusieurs semaines d’allocations peut-être, comme cela arrive déjà aujourd’hui quand un simple document papier déposé à l’accueil du CAPS ne trouve jamais l’agent auquel il était destiné.

3. L’emploi

Le fait que la DPS pose le CPAS en opérateur d’insertion socioprofessionnelle est très questionnant : ce n’est pas la mission première d’un CPAS alors qu’il existe déjà sur le territoire une grande diversité d’acteurs d’insertion socioprofessionnelle, : le FOREM, au travers de régionales ; les 157 Centres d’insertion socioprofessionnelle subventionnés par la Région Wallonne (anc. EFT-OISP), les Entreprises d’insertion, les IDESS (Initiatives de développement de l’emploi dans le secteur des services de proximité à finalité sociale), les MIRE, ...

Certaines de ces structures ont des méthodes pédagogiques pertinentes et efficaces éprouvées par 30 ans de pratique, d’autres plus récemment apparues dans le paysage se cherchent encore : ne conviendrait-il pas de leur laisser cette mission d’ISP, afin d’en dégager les agents du CPAS ?

L’Axe 2 de la DPS prévoit d’ailleurs une intensification des partenariats, une convergence des politiques sociales : c’est une bonne chose, mais de telles synergies sont inefficaces voire contre productives sans une politique proactive d’orientation des personnes vers les acteurs les plus pertinents, à identifier au cas par cas ! Il est également essentiel- de relancer une dynamique de respect des temporalités individuelles, autorisant un usager à passer chez un opérateur le temps nécessaire à la construction d’un lien de confiance avec l’équipe du lieu : c’est à cette condition que peut s’enclencher un processus d’émancipation progressive - dont nul ne peut préjdire s’il durera trois mois ou trois ans. Aujourd’hui, en matière d’insertion sociale, la Wallonie organise tout l’inverse, imposant fréquemment aux personnes de quitter brutalement un lieu où elles se sentent bien, balayant d’un geste les liens créés dans ce lieu, qui sont pourtant la meilleure manifestation d’une insertion sociale en marche, sécurisante et soutenante poour la personne.

La DPS ouvre ce chapitre sur l’emploi en évoquant un « droit au travail » mais la façon dont, en Wallonie, tous les débats sur l’action sociale se résument aujourd’hui à la question de la « mise à l’emploi » des personnes fragilisées, et de préférence dans des emplois dits « en pénurie » tend à consacrer plutôt une obligation de passage à l’emploi sous peine de privation de toute allocation sociale qu’un droit à un travail durable et de qualité. Comme si travailler hors de chez soi contre une rémunération plus ou moins compressée était aujourd’hui la seule façon acceptable et reconnue de prendre part au fonctionnement de la collectivité. Nous nous inquiétons de voir le CPAS de Liège verser à son tour dans cette dynamique délétère qui a déjà fait tant de dégâts en Wallonie, et qui explique en grande partie l’augmentation importante des demandes d’aide sociale, qui le mettent aujourd’hui en difficulté.

4. Lutte contre la fracture numérique

Ici encore, il existe déjà un dispositif : le Plan Mobilisateur des Technologies de l’Information et de la Communication, qui permet de dispenser gratuitement 48h de formation aux demandeurs d’emploi peu qualifiés. Ce dispositif existe, mais hélas, il est sous financé, et impose aux opérateurs des contraintes réglementaires telles que nombre d’entre eux renoncent tout simplement à ce type d’action. Si des opérateurs subventionnés spécifiquement pour ce travail jettent léponge, est-ce que le CPAS sera en mesure d’assurer une telle mission sans moyens supplémentaires ?

5. Implication de la personne en tant qu’acteur de son parcours social :

Ces termes me heurtent. Une personne est par définition actrice de son parcours, elle en est l’actrice principale. Si elle ne l’est pas, si elle ne se perçoit pas comme telle, si elle n’agit pas comme telle aux yeux des personnes chargées de l’accompagner, c’est déjà le fruit d’un parcours - un parcours au cours duquel elle a pour une raison ou un autre fait l’expérience d’une privation de son pouvoir d’agir. L’urgence n’est donc pas d’"impliquer chaque personne comme actrice" : l’urgence aujourd’hui est de reconnaître aux personnes fragilisées leur droit à agir et de permettre à ce droit de s’exprimer... Fut-ce pour refuser un plan individualisé d’insertion sociale qui ne répondrait pas à leurs aspirations, aux ressources sociales, familiales, cognitives dont elles disposent ! En pédagogie, on sait que l’expression d’un refus est le premier signe d’autonomie au sens, fort de ce terme, qui désigne la capacité d’un individu à user de son libre arbitre pour adhérer ou non à un ordre ou une norme qui lui est imposée par autrui. Ai-je besoin de rappeler ce qui arrive aux sociétés qui apprennent à leurs membres à obéir aveuglement aux ordres venus d’en haut ? Nous espérons vivement que cette exigence d’obéissance sous couvert d’une exigence d’"implication comme acteur" n’est pas le projet du CPAS pour ses usagers.

Céline Lambeau
Conseillère Communale f.f.

 

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