La dernière décennie a vu de nettes améliorations en matière de luttes contre les violences intrafamiliales. Deux circulaires datant de 2006 ont joué un rôle particulièrement important dans ces progrès. La première en proposant une définition fédérale, donc commune à tous les niveaux de pouvoir, des violences conjugales et intrafamiliales. Et la seconde, inspirée de la circulaire liégeoise dite de Tolérance zéro, en orientant les actions des services de police et des parquets (elle enjoint notamment les premiers à acter toute plainte dénonçant des violences conjugales et les seconds à ne plus les classer sans suite comme c’était le cas trop souvent auparavant), en appelant à la désignation de magistrats et de policiers de référence et en encourageant une politique de formation ambitieuse de ces différents acteurs.
Cette problématique mérite néanmoins, selon nous, de rester une priorité à tous les échelons de décision, et en particulier au niveau communal. Elle reste en effet une question majeure de justice sociale et de santé publique.
Trois chiffres pour rappeler à la fois la gravité, l’ampleur et les conséquences sociétales du phénomène. En 2010, 111 personnes sont mortes en Belgique des mains de leurs partenaires, parmi lesquelles une majorité écrasante de femmes. Par ailleurs, entre 2007 et 2010, pas moins de 12.500 affaires de violences conjugales ont été prises en compte par le Parquet correctionnel de Liège. Enfin, une étude européenne publiée la même année évalue le coût total des seules violences au sein du couple pour les 27 pays membres de la zone Euro à 16 milliards d’euros, partagés entre les dépenses de sécurité sociale, celles du secteur médico-social et judiciaire, les pertes de production dues aux décès, aux incarcérations et à l’absentéisme et enfin, les coûts humains des viols et des blessures graves. Une recherche française publiée dans Santé publique en 2010 met l’accent sur l’importance d’investir dans la prévention des violences et parle d’un coût de 2,5 milliards d’euros pour la France. On peut donc raisonnablement extrapoler des dépenses annuelles approchant les 300 millions d’euros pour un pays comme la Belgique.
Les intervenants spécialisés soulignent que les avancées récentes sont loin de résoudre tous les problèmes. Tout d’abord parce que les circulaires ne sont pas contraignantes et que leur mise en application dépend par conséquent des connaissances, des convictions et des motivations des policiers (et en particulier des commissaires et chefs de zone) et des magistrats (et en particulier des procureurs du roi). Mais aussi en amont de l’intervention répressive, parce que les violences conjugales et familiales (leur définition, les droits des victimes, les ressources disponibles pour les auteurs,…) restent souvent méconnues des intervenants de terrain.
Enfin, il faut souligner également que la spécificité des violences entre partenaires (les protagonistes se connaissent, sont liés par une histoire, des enfants, des sentiments, des biens immobiliers, un regroupement familial...) et intrafamiliales (souffrances et culpabilité des enfants témoins des violences ou directement maltraités, intensité des conflits de loyauté,…) demande des interventions complexes qui allient souvent subtilement les volets fermeté/sanction et suivi psycho-social des personnes. Or, ces interventions ne se trouvent pas sous forme de recette dans les circulaires ministérielles : elles ne peuvent que s’inventer sur le terrain, à condition que soit facilitée la collaboration intersectorielle (entre associations, service d’aide à la jeunesse, police, justice,..).
On voit bien que la commune, à son niveau de pouvoir, peut jouer un rôle majeur.
Nous mettons dès lors l’accent sur quatre priorités :
- développer encore l’effort de sensibilisation et de formation. En privilégiant notamment des modules de base repartant d’une part de la définition officielle des violences conjugales en tant qu’ensemble « de comportements, d’actes, d’attitudes de l’un des partenaires (…), qui visent à contrôler et dominer l’autre » et, d’autre part, des façons dont elles affectent les enfants. En généralisant la formation continuée du corps policier et en l’élargissant également aux acteurs de première ligne que sont les enseignants dans les écoles et les puéricultrices dans les crèches communales, les collaborateurs du CPAS, etc… En veillant à ce que soient nommés dans ces différentes institutions des travailleurs-référents « violences conjugales et intrafamiliales » dont le rôle serait de maintenir vivante la sensibilisation, d’être à l’écoute et de référer le cas échéant vers des services spécialisés.
- réfléchir à la création d’un service spécialisé qui jouerait un rôle d’interface entre les personnes victimes de violence et les instances judiciaire et policière. Si une répression plus sévère est évidemment indispensable dans certaines situations, le constat a été fait qu’une judiciarisation qui ne tient pas compte du point de vue des victimes peut entraîner des conséquences (représailles familiales, perte d’emploi de l’auteur et précarisation, défiance vis-à-vis de la justice…) non-désirées par les victimes et risque de passer à côté de son objectif de sécurisation |1|. Intimement lié à l’institution judiciaire mais cependant indépendant de celle-ci, ce service veillerait principalement à entendre les demandes des victimes, à les informer (par exemple de la décision du magistrat ou de la fin de détention préventive de l’auteur) et à les accompagner au long de la procédure.
- mettre sur pied une section policière spécifique « violences intrafamiliales et conjugales ». Composée de policiers référents, elle veillerait au suivi de la procédure (dépôt de plainte, compléments d’enquête, visite à domicile) en collaboration étroite avec les magistrats de référence du Parquet. Cette centralisation des démarches soulagerait de nombreux policiers, assurerait la qualité de l’accompagnement policier et pourrait également faciliter les contacts et la coopération sectoriels (avec les intervenants sociaux du service d’assistance policière aux victimes de la police -SAPV) ou intersectoriels (avec les services externes) qui sont eux aussi indispensables.
- miser sur la prévention en relançant un programme ambitieux d’animations dans le vaste réseau scolaire liégeois et cela dès l’école primaire (stéréotypes et relations filles-garçons, égalité/inégalités entre hommes et femmes puis, plus tard, le thème du contrôle et des violences dans les relations amoureuses).
|1| Le contexte particulier de la violence conjugale et familiale fait que de nombreuses plaintes sont déposées par des femmes qui attendent un changement de comportement de la part de leur compagnon et pas son incarcération (notons toutefois au passage que l’emprisonnement à proprement parler reste une conséquence rare, notamment étant donné le taux d’occupation-record des prisons belges).
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Les commentaires postés par les internautes
Une police qui lutte contre les violences invisibles
Ok, mais concrètement, vous proposez quoi pour lutter contre la criminalité ? Et les petites incivilités constituent également des facteurs qui diminuent la qualité de vie et augmentent le sentiment d’insécurité.
Une police qui lutte contre les violences invisibles
Je vous invite si ce n’est déjà fait, Alice, à consulter le point de programme "pour une politique de sécurité" dans l’onglet SECURITE ! *
Lutter contre les violences conjugales et intrafamiliales
Projetez-vous également de prendre plus au sérieux les plaintes d’hommes victimes de violences conjugales ? Cela inscrirait Liège au club - hélas ! - ultra fermé des (très, très) rares villes à se pencher sur ce problème beaucoup plus répandu qu’on ne le croit http://www.rue89.com/2011/03/01/sos-hommes-battus-cest-aussi-ca-legalite-des-sexes-192873
Selon moi, aucune "égalité des sexes" n’est envisageable tant que ce problème ne sera pas, lui aussi, pris très au sérieux, tant par les élus que par les médias.
Lutter contre les violences conjugales et intrafamiliales
La lutte contre les violences entre partenaires ne peut se piloter à deux vitesses en fonction du genre, du statut social ou de l’origine des personnes concernées ...
Par contre faisons attention à ce que l’arbre ne cache pas la forêt : Les hommes sont plus rarement blessés, séquestrés, violés par leur compagne, harcelés par une communauté, tués -ou menacés de mort...sans parler de la dimension économique ( en mutation, mais le belge le plus pauvre est toujours une femme, à ma connaissance ) PS/ Je travaille dans le domaine depuis 10 ans.
Lutter contre les violences conjugales et intrafamiliales
Je réagis encore. S’attaquer aux violences conjugales est une excellente idée que j’applaudis sans réserve. Je me permets d’évoquer un autre type de violence qu’il serait également important de juguler. Il s’agit de la violence sur les lieux de travail. Je songe notamment à ce qu’on appelle le harcèlement professionnel. Ce sont également surtout des femmes qui en sont victimes - mais pas seulement, je peux en témoigner - et ce type de violence est également refoulé aussi bien par la victime que par son entourage. Une sensibilisation serait bienvenue - les milieux professionnels ne se perçoivent pas comme violents alors qu’ils peuvent l’être - parce que la parole vient difficilement sur ce sujet. Puis les manifestations médicales du harcèlement ne sont pas immédiates - quand elles sont manifestes, il est trop tard, les dégâts sont irrémédiables. Le harcèlement professionnel s’effectue par petites touches, par répétition, par stigmatisation, brimade, isolement. Il n’est jamais spectaculaire. Les autorités communales sont en droit de mener des campagnes de sensibilisation à ce sujet, elles peuvent de la sorte prévenir les dégâts humains que génèrent ces violences. Ces violences sont particulièrement fréquentes dans les milieux professionnels où il y a un engagement, une adhésion à un projet : l’associatif n’en est nullement exempt.
Le chômage de masse et la dégradation des conditions de travail qu’il entraîne pousse au crime : ce qu’on appelle le managment par la haine est devenu habituel.
Habituel mais criminel. Donc, il faudrait imaginer un contrôle, une répression de ces actes criminels et, en amont, une amélioration des rapports de force au sein du monde du travail.
Bon courage, amicalement
patrick
Lutter contre les violences conjugales et intrafamiliales
Très intéressant.
Serait-il possible que VEGA propose une lutte contre le sexisme qui aille au delà ?
Dans l’espace (lieu de travail, rue etc. également), dans les esprits (masculins comme féminins, (ré)éducation incroyable) et dans la palette de terrains, en vrac :
- Exploitation économique (dénoncer le travail gratuit, une fiche sur exigence de salaire égal à travail égal, discriminations à l’embauche et à la maternité etc.)
- Agressions sexuelles, verbales et physiques (impunité, problème de la contraception sexuée etc etc.)
- Domination symbolique (éducation, rôles sexués etc etc.)
Pas très clair, mais vous voyez bien l’idée (le sexisme dépasse largement les morts et blessées des dits "conflits familiaux", même si j’admire que cela fasse partie du programme)
Lutter contre les violences conjugales et intrafamiliales
Je rejoins pleinement le point de vue de Patrick. En ajoutant qu’il serait malhonnête de dénoncer les violences conjugales et intrafamiliales (violences domestiques) invisibles sans dénoncer la violence invisible permanente qui empreint les temps que l’on passe dans l’emploi. Ou doit-on éviter de marcher sur les plate-bandes syndicales en la matière et les laisser les travailleurs gérer seuls le problème ?
Lutter contre les violences conjugales et intrafamiliales
Il existe le service aide aux victimes près du parc de la boverie
Mais ses moyens et actions sont très limitées
Un problème c’est le manque de reconnaissance des violences verbales et
Abus émotionnels fait dans le couple et sur les enfants
La maltraitance émotionnelle est beaucoup plus dommageable au niveau du temps
Et du traumatisme que la violence physique
C’est des psychiatres et psychologues qui l’ont dit
Samuel