Sur la présence de l’armée à Liège

Chacun aura pu le constater : des soldats en armes sont présents depuis quelques jours à Liège, pour protéger le Palais de justice face au risque d’un éventuel attentat.

Cette situation appelle un commentaire de notre part. Nous avons donc pris le temps d’écouter et de considérer les explications qui ont été données, en évitant de réagir trop rapidement sur ce sujet extrêmement sensible.

Nous avons pris note du fait que les militaires présents à Liège sont systématiquement accompagnés de policiers et placés sous le commandement du chef de corps de la police et sous la responsabilité du bourgmestre. Nous nous réjouissons que ce cadre civil ait pu être précisé.

Nous avons pris note du fait que les autorités fédérales estiment que le risque d’un attentat a augmenté ; même si nous ne disposons d’aucun moyen pour évaluer la réalité de ce risque.

Nous comprenons l’inquiétude que peuvent avoir les personnes chargées d’exercer, à divers titres, des missions policières, judiciaires ou d’information du public. Toutes ces personnes sont en première ligne dans la défense de l’ordre démocratique et il est normal et souhaitable que leur sécurité fasse l’objet d’une attention particulière. À ce titre, nous approuverons, ce lundi au Conseil communal, les crédits supplémentaires mobilisés pour l’équipement des policiers liégeois.

Nous constatons cependant :

  • Qu’il n’est pas possible d’assurer une présence policière partout où un risque est envisagé. Qu’en conséquence, sécuriser un site, c’est aussi reporter une éventuelle menace sur un autre. Que le dispositif mis en place ces derniers jours ne pourra vraisemblablement pas être conservé dans la longue durée — et devra donc être réduit à un moment donné.
  • Que le dispositif mis en place empêche les policiers de remplir d’autres missions qui leurs sont allouées en temps normal ; de même qu’il entraîne la fermeture de certains services publics à certains moments, contribuant à créer de l’inquiétude parmi leurs usagers.
  • Que cette mobilisation — avec les affects qu’elle entraine parmi nos concitoyens — est déjà, à certains égards, une victoire du terrorisme, dont il paraît que son objectif central est de faire vivre des sociétés entières dans la peur.
  • Incidemment, que les grandes villes sont, ici encore, lourdement sollicitées, à la mesure des institutions qu’elles accueillent sur leur territoire. Cette situation n’est déjà pas suffisamment prise en compte en temps normal. En situation de crise, elle devient lourdement problématique.
  • Que le trafic d’armes semble prospérer en Belgique.
  • Que l’anti-terrorisme, par devers tout, est une logique qui, dans son principe même, ne connait guère de limites. La rationalité anti-terroriste peut dévorer une société, la rendre invivable à force de psychose et de contrôle.

Nous considérons que :

  • Dès lors que le ministère de l’Intérieur a augmenté le niveau d’alerte terroriste, il était normal que le bourgmestre de Liège fasse appel au gouvernement fédéral pour renforcer la protection de certains sites sensibles.
  • La réponse donnée par le gouvernement fédéral ne devrait pas être la mobilisation de l’armée. En démocratie, l’armée n’a pas à intervenir dans un contexte civil. C’est un principe fondamental sur lequel personne ne devrait transiger.

Nous appelons dès lors :

  • À ce que les différents acteurs concernés considèrent le recours à l’armée comme une mesure d’urgence ne devant pas être reconduite, et mettent en oeuvre rapidement des mesures alternatives pour sécuriser les sites qui doivent l’être. Il nous semble notamment souhaitable que la sécurité des palais des justice soit directement prise en charge par un corps de police fédéral, de façon à soulager les corps de police locaux.
  • À un renforcement du contrôle parlementaire sur les services de sécurité fédéraux, pour limiter autant que possible la tentation d’un usage politique de la menace terroriste.
  • À ce qu’aucune mesure législative supplémentaire ne soit prise — a fortiori dans la précipitation. Notre droit pénal contient toutes les dispositions nécessaires pour réprimer les personnes qui commettent des actes terroristes, ainsi que leurs complices. Certaines d’entre elles posent d’ailleurs question, comme on l’a vu dans diverses affaires, ces dernières années. Il nous semblerait par contre beaucoup plus utile, efficace et pertinent de garantir à la justice des moyens suffisants pour remplir ses missions.
  • À ce que toutes et tous se retiennent de céder une logique de répression de la parole. L’« apologie du terrorisme » semble être une incrimination beaucoup trop floue et large, qui met gravement en danger le principe fondamental de la liberté d’expression.
  • À ce que des mesures draconiennes soient prises contre le trafic d’armes et d’explosifs et contre les mafias qui l’organisent.
  • À ce qu’une réflexion de fond sur les conditions qui rendent possible le passage à l’acte terroriste soit entreprise. Sans exonérer en aucune manière les personnes qui en viennent à commettre de tels actes, il nous semble évident que la dérive vers l’exercice d’une violence aveugle au nom d’un fanatisme quelconque prospère sur des injustices fondamentales, au niveau international comme au niveau le plus intime. Il n’y a pas de sens à invoquer les « valeurs » communes — de solidarité, d’égalité, de liberté, de respect de chaque individu,... — qui seraient mises en cause par le terrorisme si on ne s’applique pas au quotidien à les rendre concrètes pour tous les citoyens.
 

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