Ces lundi 25 et mardi 26 mars 2019, le Conseil Communal de Liège était appelé à voter le Cahier de modifications budgétaires 2019, qui fait suite à l’adoption en novembre 2018 d’un budget provisoire établi par la majorité sortante. Voici le texte de mon intervention de Cheffe de groupe à propos de ce budget.
En première approche, il semblerait que le message du Collège autour du CMB soit « Circulez il n’y a rien à voir... ». On parle d’un budget "technique", "light", "transitoire". On pourrait, au même titre, et selon la sensibilité de chacun, qualifier le budget de « stable »... ou d’endormi, voire de léthargique…
Je constate, de fait, que rien ne change, d’abord en termes de délai d’examen du budget pour l’opposition : encore et toujours, on dispose de 10 jours. C’est toujours mieux que le délai imposé pour la Déclaration de Politique communale (24h), mais ça reste très insuffisant pour une analyse fine, respectueuse de la complexité des données. C’est d’autant plus regrettable que, de toute évidence, le budget liégeois souffre d’abord de contraintes venues de l’extérieur : cela devrait peut-être inciter à reconsidérer, pour un temps, les membres du Conseil communal sous l’angle de leur statut de conseiller plutôt que sur leur qualité de conseiller de l’opposition…
Rien ne change non plus en termes de contexte : on est dans l’austérité, encore et toujours. Plus elle progresse plus elle s’objective : on observe partout un glissement généralisé vers le bas, qu’il s’agisse de subventions ou de statuts. A exigences égales ou renforcées, les subventions structurelles se transforment en subventions pluriannuelles, les pluriannuelles en annuelles, et les annuelles disparaissent (je parle de manière générale, et non spécifiquement pour le budget communal 2019) ; idem côté travailleurs : à fonction et tâches égales (voie augmentées...), on remplace les statutaires par des contractuels, les contractuels par des prestataires, les prestataires d’hier se voyant renvoyés aux allocations sociales où le glissement est également à l’oeuvre : on exclut les chômeurs, qui pour une part se tournent vers le CPAS, lequel à son tour sanctionne voire exclut. Et l’on voit croître le nombre de SDF, de tentes de camping dans les bosquets et parcs liégeois et le nombre de disparus des statistiques, perdus dans un nouveau « sherwood » dans l’attente d’un improbable Robin des Bois qui tarde à se faire connaître.
Au vu des infos communiquées en Commission Budget, rien ne change non plus en termes de budget, ou si peu : nous sommes appelés à nous prononcer sur un CMB qui ne modifie qu’à la marge un budget 2019 provisoire - qui lui-même était une quasi-redite du budget 2018, et qui est balisé par une norme imposée par la tutelle à savoir : travailler sur base du budget 2017 majoré de 2%. Je ne jette pas la pierre à l’Echevine des Finances : de toute évidence les contraintes extérieures sur la confection du budget sont telles aujourd’hui que cette confection semble plus relever d’un jeu d’escape room que de l’exercice d’une liberté et d’une responsabilité politique communale digne de ce nom. C’est l’autonomie communale elle-même qui semble aujourd’hui disparue, à l’heure où de nombreuses missions de services aux citoyens sont pourtant renvoyées à l’échelon local. Cette autonomie est pourtant prévue par la Constitution : peut-être y aurait-il matière à demander un examen juridique du respect de cette disposition constitutionnelle ?
En toute logique, le budget 2019 modifié étant une quasi-reconduction du budget 2018, il souffre des mêmes défauts que ce dernier, défauts que le Collège connaît bien pour les avoir entendus pointer par l’opposition depuis les bancs de la majorité, voire pour les avoir formulés depuis les bancs de l’opposition : recours à la taxation, à l’endettement, à des réductions de personnel, vente de patrimoine, épuisement des réserves, manque d’ambition face aux urgences environnementales, sociales, urbanistiques de notre temps.
A l’analyse, certains de ces défauts souvent pointés dans le passé sont atténués dans ce CMB, mais d’autres persistent : si l’on observe une stabilisation des taxes, l’endettement est toujours maximal, et les dépenses en personnel se contractent une nouvelle fois (même s’il faut reconnaître que cela résulte de la disparition des aides à l’emploi PTP, preuve s’il en fallait que les réformes des aides à l’emploi doivent être maniées avec la plus grande prudence, y compris pour l’avenir des communes).
Quant à l’ambition face aux enjeux du moment, ... difficile de se prononcer sur un budget présenté comme technique et provisoire en attente d’un plan de gestion à soumettre à la tutelle en septembre prochain.
N’empêche, faisons l’exercice :
Etant admis que Liège est contrainte par l’autorité supérieure de présenter un budget à l’équilibre, quelles solutions s’offrent à qui voudrait améliorer la vie et la ville des liégeois sans taxer, ni alourdir l’emprunt, ni réduire le personnel ou le service, ni retarder les investissements indispensables à la transition écologique ni vendre le patrimoine, ni prélever sur la réserve, ni refuser de payer la dette pension et la cotisation de responsbilisation ?
Voici quelques propositions de la Coopérative Vega dont certaines ont déjà été formulées dans le passé mais restent à mettre en oeuvre. (Rien ne change, disait-on...).
1. Restaurer une justice dans le problème de la dette pensions : la volonté est clairement exprimée par l’Echevine des Finances d’affronter ce problème et d’obtenir une solution fédérale ou régionale... mais elle reste de l’ordre du vœu pieu ou du projet à ce stade, donc logiquement le budget 2019 ne prévoit aucune solution autre que l’emprunt au CRAC pour honorer cette dette.
2. Supracommunalité : cette solution est défendue depuis longtemps, aussi par le MR et de fait, c’est indispensable : Mme L’Echevine, vous souligniez tout à l’heure que la centralité de Liège n’est pas suffisamment prise en compte, ce que Vega dénonce également avec constance depuis ses origines. Dans tous les secteurs, Liège fait plus que sa part dans les coûts des services aux citoyens de l’agglomération liégeoise : services incendies, petite enfance, gestions des égouts, gestion des déchets, …. Une solution supracommunale – chez Vega, on préfère parler d’une solution métropolitaine – doit impérativement intervenir, mais ici encore, rien n’est prévu au CMB, et je serais intéressée de connaître l’état de la réflexion de Mr Demeyer à ce sujet.
3. Une régie communale des énergies vertes, suggérée avec insistance par Mr Schreuer depuis des années, serait une excellente voie pour permettre à la Ville et à ses habitants de s’affranchir des énergies fossiles, et donc d’un marché libéralisé de l’énergie dont il est désormais prouvé qu’il impacte négativement le budget des ménages, mais également celui des communes, comme le soulignait l’UCVW il y a quelques mois. Voilà un bel investissement à envisager pour l’extraordinaire « hors-balises », qui vient d’être élargi à de nouvelles possibilités par Mme De Bue.
4. Attirer une population active sur le territoire de la Ville : l’exode urbain n’est pas une particularité liégeoise, mais je dois attirer l’attention sur un phénomène à l’œuvre dans les quartiers situés autour de l’hyper centre (Laveu, Ste Walburge, St Léonard, …), et qui est apparemment toléré par la Ville ( ?) : la division de maisons unifamiliales en appartements voire en kots. Avec ce que cela entraîne comme conséquences négatives en termes d’explosion du nombre de voitures, de bruit, de désertion des quartiers le WE quand les étudiants rentrent chez eux. Ce phénomène réduit le nombre de maisons adaptées à des familles plus grandes qu’un couple avec un bébé, peut-être est-ce aussi une raison pour elles d’aller chercher un logement au-delà de la commune ? Il y aurait lieu sans doute de se montrer plus sévère en la matière.
Tout ceci étant dit, il reste qu’une enveloppe fermée laisse des marges de manœuvre permettant d’agir sur le qualitatif à défaut de pouvoir le faire sur le plan quantitatif. Qu’observe-t-on à ce niveau dans le CMB ?
A l’ordinaire : on aurait souhaité des glissements politiques vers une ville plus saine, plus verte. Mais on observe un maintien des dépenses liées à voiture de même qu’aux dépenses d’indemnisation des agents communaux pour l’usage de mode de transports doux, ce qui semble indiquer l’absence de politique active d’incitation du personnel à envisager des changements de pratiques. On voit aussi une augmentation des moyens alloués au matériel technique, une augmentation des prestations à des tiers (...) tandis que le personnel tend à se réduire ou à se contractualiser et que le transfert au CPAS stagne.
A l’extraordinaire, balises + hors balises, nous reconnaissons la prudence et le volontarisme, et la pose de gestes cohérents avec la déclaration de politique générale. Budgétairement, ces gestes restent cependant très modestes, et semblent plus cosmétiques que propices à un bouleversement radical de la dynamique urbaine liégeoise.
Conclusions
D’après ce que je découvre, apprends, lis, entends depuis que je suis entrée en fonction, je découvre que la Ville semble prise à la gorge par ses partenaires régionaux, fédéraux, européens, depuis des années, et encore pour au moins un an de toute évidence Selon des nombreux analystes, les grandes villes subissent une véritable maltraitance, dont nous avons encore eu un exemple l’été dernier avec l’exonération du précompte immobilier pour les propriétaires de biens situés dans les « nouveaux » quartiers (compensée, ouf), ou la reconnaissance comme "grande ville" de cités de taille moyenne (du point de vue liégeois à tout le moins…) comme La Louvière ou Mouscron, dans le cadre de la Politique des Grandes villes.
Sous cet angle, Liège apparaîtrait presque comme le membre dominé d’un ménage à trois ou à quatre intrinsèquement violent.
Je me permettrai donc de terminer en vous rappelant les recommandations faites aux personnes qui subissent une maltraitance structurelle :
– il faut sortir du silence et de l’isolement, raconter ce que l’on subit : Liège commmunique-t-elle suffisamment sur les atteintes à son autonomie, à son équilibre financier évoquées plus haut ?
– il faut documenter les traces et preuves des mauvais traitements subis – d’où, aussi, tout l’intérêt du bureau des statistiques, réclamé avec constance par Vega depuis 2012 (rien ne change, disait-on...).
– il faut développer l’estime de soi, affirmer ses qualités et compétences mais pas seulement sur le mode de l’incantation : il faut en montrer la concrétisation. Liège et les liégeois sont pleins d’atouts : montrez-le, aux liégeois et aux autres.
– il faut porter plainte, saisir la justice, demander réparation symbolique, matérielle, financière pour les maltraitances subies quand elles peuvent être prouvées.
Je me vois au regret de voter, au nom de Vega, contre de cahier de modifications budgétaires, mais je soulignerai que ce n’est pas tant, cette fois, pour jeter l’opprobre sur le travail de la majorité dans le cadre hypercontraint évoqué (puisque nous ne pourrons évaluer ses réelles trajectoires budgétaires qu’au travers du plan de gestion à venir en septembre 2019), que pour m’abstenir de me rendre complice d’une persistance de la maltraitance faite aux grandes villes en Belgique fédérale.
Céline Lambeau