« VEGA : une coopérative Rouge-Verte »

Entretien avec François Schreuer, dans la revue « Métis Europe ». Par Cédric Leterme, 28 octobre 2013.

Fondée à peine moins d’un an avant les élections communales de 2012, la « coopérative politique » VEGA (pour « Verts et à Gauche ») a surpris tout le monde à Liège en obtenant 3,6 % des voix et un représentant au Conseil communal. Le siège est occupé par François Schreuer, l’un des initiateurs du projet issu du monde associatif liégeois. Metis l’a rencontré pour évoquer avec lui les défis que pose la défense d’un projet « écosocialiste » dans une Ville comme Liège - un ancien bassin sidérurgique confronté à la désindustrialisation et au chômage - notamment en termes de transition énergétique.

Pouvez-vous commencer par nous présenter brièvement le projet VEGA (son origine, sa démarche, ses objectifs) ?

VEGA est le fruit d’une rencontre assez improbable entre une tradition militante liégeoise fortement ancrée à gauche et une mouvance associative plutôt soucieuse d’écologie (d’où le nom « VEGA » pour « Verts et à gauche »). L’objectif électoral n’était pas immédiat. Nous partions plutôt d’un constat relatif à la désaffection politique croissante et à l’absence d’une véritable synthèse entre les considérations sociales et environnementales. Nous avons donc voulu essayer d’y remédier en expérimentant de nouvelles façons de faire de la politique, en commençant par l’échelon communal.

Notre « coopérative politique » (une appellation symbolique qui renvoie à notre souci de travailler à davantage d’horizontalité) a ainsi vu le jour le 14 janvier 2012, à moins d’un an des élections communales d’octobre 2012. Dans la foulée, nous avons lancé un vaste travail d’élaboration programmatique collaboratif et participatif (notamment via internet) autour de 12 points clés. Ce n’est qu’en voyant que nos propositions n’étaient peu ou pas représentées au sein de l’offre politique traditionnelle que nous avons finalement décidé de présenter une liste et de nous lancer dans l’arène électorale. Résultat : à la surprise générale nous avons obtenu 3,6 % des voix et un siège de Conseiller communal - ce que très peu de mouvements ont réussi à faire du premier coup dans une grande ville. Maintenant nous devons gérer cette activité institutionnelle, tout en veillant à rester fidèle à notre souci d’horizontalité dans le fonctionnement interne et à ne pas nous laisser accaparer par le seul travail au sein des institutions, ce qui est loin d’être toujours évident...

Pourquoi avoir choisi l’échelon communal et quelles limites cela pose-t-il à votre projet politique ?

Nous avons choisi de commencer par la commune non seulement par commodité (nos moyens sont limités), mais aussi parce qu’il s’agit d’un niveau de décision dont les gens continuent de se sentir proches et qui garde donc une certaine légitimité. Cela étant, notre ambition critique nous impose tout naturellement d’aller au-delà du communal, dans la mesure où nombre de problèmes auxquels nous souhaitons nous confronter dépendent de dynamiques beaucoup plus larges. Nous nous situons dans la mouvance du Parti de la Gauche Européenne (PGE) et de la tentative qu’il incarne de réaliser une vaste alliance européenne de forces politiques alternatives telles que Syriza, Die Linke, etc. À notre modeste niveau, nous essayons donc de combiner des propositions locales très concrètes avec des actions de portée plus générale, comme la mise en place d’une plate-forme contre le Pacte budgétaire européen ou encore l’organisation d’Assises franco-belges de l’écosocialisme, par exemple.

Justement, sur les questions de transition énergétique, comment parvenez-vous à articuler les dimensions sociales et écologiques qui vous tiennent à coeur, tout en tenant compte des limitations qu’imposent l’échelon communal ?

Je peux vous donner deux exemples concrets. Le premier concerne les transports en commun. Une de nos propositions phares consiste à défendre la gratuité des transports publics locaux, laquelle serait financée par un impôt prélevé sur les emplacements de parking commerciaux (à l’exclusion, donc, des parking résidents, culturels, hospitaliers, etc.). Selon nous, une telle mesure aurait un triple avantage : tout d’abord elle permettrait d’assurer une redistribution immédiate et efficace entre les classes moyennes-supérieures engagées dans un mouvement de périurbanisation bien réel à Liège et les populations populaires urbaines. Elle constituerait par ailleurs un puissant incitatif à l’utilisation des transports en commun (qui restent encore trop souvent le 2e voire le 3e choix en termes de mobilité), ce qui pourrait initier un rapport de force favorable à une réelle amélioration de l’efficacité du réseau par une stimulation de la demande. Enfin, les avantages en termes d’efficacité énergétique et de limitation de la pollution me semblent quant à eux aller de soi. On a donc ici un premier exemple de mesure à la fois sociale et écologique et que la ville peut mettre en place immédiatement - à travers l’achat, à la société régionale qui gère le transport en commun, d’abonnements qui seraient ensuite distribués à la population - sans avoir à attendre le feu vert d’une quelconque autorité supérieure.

Le second exemple concerne les énergies renouvelables. La Belgique subventionne beaucoup leur développement. Or, cela a généralement pour effet de favoriser une redistribution à l’envers, puisqu’il faut non seulement être propriétaire d’un espace qui permette ce type d’installation, mais aussi disposer des fonds nécessaires à l’investissement de départ. Nous souhaitons au contraire favoriser les énergies renouvelables, mais en mutualisant à la fois leur financement (comme c’est déjà le cas) et leurs bénéfices. Nous proposons donc de limiter l’octroi des subsides aux seules collectivités publiques. Et nous proposons la création, à Liège, d’une régie communale chargée de créer des infrastructures productrices d’énergies renouvelables, dont les bénéfices pourraient profiter à l’ensemble de la population de la Ville (d’abord sous la forme d’une diminution des factures d’énergie pour aller, à terme, jusqu’à l’attribution de quotas d’énergie gratuite). Le Parti Socialiste (PS) et le Parti des Travailleurs de Belgique (PTB) se sont montrés favorables à l’idée, ce qui signifie que nous disposons d’ores et déjà une majorité virtuelle au Conseil communal pour la mettre en oeuvre. Il sera surtout intéressant de voir maintenant comment les écologistes vont se positionner puisqu’ils sont les grands artisans des primes à l’investissement au niveau régional.

À l’image d’autres bassins sidérurgiques européens, la Ville de Liège connaît depuis plusieurs décennies des problèmes liés au déclin de cette activité. Comment un parti comme VEGA se positionne-t-il par rapport à cet enjeu ?

VEGA défend l’industrie. Il existe de nombreux biens dont nous continueront d’avoir besoin et nous estimons qu’il faut en (re)localiser la production. Le tram dont la Ville de Liège souhaite se doter est un bon exemple de production qui aurait pu se faire ici. Pour nous, il est donc toujours pertinent d’avoir une sidérurgie à Liège, mais pas à n’importe quel prix. Nous nous sommes ainsi récemment opposés à la revente par Arcelor-Mittal de la cokerie de Seraing par exemple, une activité dont les effets environnementaux sont de loin les plus catastrophiques. Cela nous a mis en porte à faux avec certains syndicats qui souhaitent une relance à tout prix au nom de l’emploi. Or, nous considérons que même d’un point de vue social il est absurde de mettre en balance les risques sanitaires avec la question de l’emploi. Tout d’abord parce que les coûts seront de toute façon assumés par la collectivité. Ensuite parce que ce n’est pas défendre les travailleurs que de les forcer à choisir entre leur santé et l’emploi. Bien sûr nous sommes conscients qu’il n’existe pas de réponse simple à ces questions, mais il faut toujours garder en tête qui l’on défend. Pour nous c’est clair. Nous défendons le camp du travail contre celui du capital, ce qui nous pousse à croire qu’on peut développer une industrie urbaine respectueuse de l’homme et de l’environnement.

 

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