Manifeste

Approuvé par l’Assemblée générale du 31 mars 2012

1. Constat

Nous voyons des injustices croissantes, si nombreuses qu’on ne parvient plus à les compter. Nous voyons que la crise bancaire et ses suites, loin d’être payée par ses responsables, accroît plus encore les inégalités, pourtant déjà considérables. Nous voyons des outils et des moyens financiers publics mis au service des banques et non des citoyens. Nous voyons une oligarchie qui se cache de moins en moins.

Nous voyons s’amplifier la dissonance entre fuite en avant productiviste et réalité de la biosphère, au point de menacer les conditions mêmes de l’existence humaine sur Terre. Nous voyons que l’objectif de la croissance pour la croissance domine tout, sans préoccupation pour le comment ni le pourquoi de la production.

Nous voyons des concepts épuisés mais pourtant ressassés à l’infini. Nous voyons se succéder les analyses d’une « crise » qui échouent souvent à nous aider à comprendre ce qui est en jeu tandis que les voix pertinentes et critiques sont trop peu audibles dans un paysage médiatique de plus en plus délabré. Nous voyons ces crises être utilisées comme prétextes pour nous imposer une intensification des politiques régressives qui ont pourtant mené au désastre.

Nous voyons trop souvent des élus et des élues largement dépassés par ces enjeux, incapables ou non désireux d’opposer une quelconque forme de résistance – ne serait-ce qu’intellectuelle – à la déferlante austéritaire. Nous voyons ce corps politique si souvent confondre ce qu’il peut et ce qu’il veut ; ne plus désirer que le peu qu’il est prêt à atteindre. Nous voyons, souvent dans la plus grande opacité, les politiques néo-libérales peu à peu constitutionnalisées, notamment à travers les traités européens.

Nous voyons une accélération de nos vies qui ne laisse plus le temps de réfléchir. Nous voyons que cette accélération fragilise nos existences et complique, dans sa réalisation mais aussi dans sa conception, tout projet d’autonomie individuelle.
Nous voyons aussi des mouvements de révolte mondiaux – révoltes démocratiques arabes, mouvements indigènes latino-américains ou « Indignés » – ainsi que des initiatives locales dont nous sommes solidaires et qui nous donnent de l’espoir.

2. Analyse

Nous pensons que le monde change sans retour possible. Face aux profonds bouleversements que nous vivons — dérèglement climatique, révolution numérique,... — nous ne pouvons nous contenter d’une logique défensive : il s’agit aussi d’inventer de nouveaux modèles, et notamment de nouvelles formes de solidarité. Nous pensons donc que la créativité sera indispensable pour envisager, d’une manière démocratique, la transition de nos sociétés vers un avenir plus libre, plus juste et plus sobre, débarrassé de l’emprise de la finance et de la dépendance aux ressources énergétiques fossiles.

Nous pensons qu’il n’y a pas d’acquis mais des conquêtes qui toujours ont été le fruit d’un rapport de force et de la volonté populaire relayée par des outils collectifs (syndicats, partis, coopératives, associations, presse d’opinion,...). Le conflit entre des classes sociales aux intérêts divergents est plus que jamais d’actualité, même si le discours dominant tend à en nier l’existence.

Nous pensons que la politique elle-même — c’est-à-dire l’idée que l’organisation collective est la voie d’une société plus juste — est menacée, parce qu’elle est devenue terriblement improbable et incertaine aux yeux de bon nombre de nos concitoyens. Instiller le renoncement dans les esprits, faire croire que la politique menée est la seule possible, c’est-à-dire tuer la politique, voilà la plus grande victoire des oligarques. Nous pensons au contraire que l’idée politique doit être sauvée — et pour cela réinventée.

Nous pensons que la politique ne se réduit pas à la politique dans les institutions. Que la politique se fait d’abord dans la vie de tous les jours, dans les mouvements sociaux, qu’elle n’existe pas sans des groupes de citoyens actifs et critiques. Nous pensons cependant que la politique élective reste légitime et indispensable, même si elle n’est pas suffisante à l’organisation de la vie en commun. Nous pensons que chacun d’entre nous a le devoir et devrait avoir les moyens de consacrer un peu de son temps à la vie publique.

Nous ne méconnaissons pas les limites et les difficultés inhérentes à toute action politique. Nous constatons que la situation nous dépasse tous. Nous pensons pourtant que le « tous pourris » est le discours qui arrange le mieux les vrais « pourris ». Nous pensons qu’il est essentiel de faire preuve de discernement et de nuance.

Nous pensons que la première chose à faire est d’inventer des manières de reprendre pied dans le débat, des pratiques permettant à tout le monde d’être pleinement citoyenne ou citoyen. Nous pensons qu’il n’existe pas de politique émancipatrice sans éducation populaire. Qu’il nous faut dans le même temps nous rassembler pour dire notre refus intransigeant du monde tel qu’il va et pour produire de l’intelligence collective.

Nous pensons que, dans cette tentative de reprendre pied, l’échelon local est le premier qui doit être abordé. Nous pensons que la commune peut être un lieu privilégié de construction d’alternatives concrètes.

3. Propositions

Nous proposons aux citoyennes et citoyens liégeois de se rassembler au sein d’une « coopérative politique » pour travailler ensemble la question de la politique au niveau local. Nous voulons, si les circonstances le permettent, envoyer des représentantes et des représentants au Conseil communal et dans les autres assemblées pour y défendre notre point de vue. Ce rassemblement, nous le nommons « VEGA », pour « Verts et à Gauche » et nous le voulons ouvert à celles et ceux qui se reconnaissent dans les idées fondatrices.

Ecologie. Les premières victimes des bouleversements écologiques, ce sont les pauvres, les plus faibles, celles et ceux qui sont dépourvus en ressources. Nous défendons une écologie politique inséparable de la question sociale. Celle-ci passe notamment par la relocalisation d’une partie de l’économie, notamment tout ce qui relève des productions agricoles, maraîchères et manufacturières. Il est également indispensable de faire une critique de nos modes d’existence et de promouvoir l’économie sociale et d’autres modes de consommation.

Socialisme. Certaines sociétés humaines se sont caractérisées par une prédominance du collectif sur l’individu, au point de nier la liberté de celui-ci. Nous pensons que nous sommes aujourd’hui dans l’excès inverse : celui d’une société atomisée, une « dissociété » qui bafoue tout autant les libertés réelles. Nous voulons inventer des « liens qui libèrent », lutter contre la précarité de nos existences. Nous souhaitons encourager la liberté d’entreprendre et réfréner la liberté d’exploiter qui constitue le pilier de l’économie capitaliste. Nous souhaitons une économie mixte, dans laquelle le secteur privé, le secteur coopératif et le secteur public ont chacun une place. Nous proposerons des politiques différenciées capables de soutenir le développement de l’économie coopérative et autogestionnaire. Nous souhaitons des services publics forts, efficaces et accessibles à toutes, notamment là où la dignité et les besoins essentiels de chacun sont en jeu.

Nous voulons protéger et développer les biens publics, matériels et immatériels. Pour ce faire, nous pensons qu’il est nécessaire de conditionner les échanges commerciaux à des critères sociaux et écologiques, donc de mettre en place un protectionnisme sélectif.

Démocratie. Nous défendons le suffrage universel associé à un débat public permanent, la séparation des pouvoirs et la participation active et permanente des citoyens à la vie publique. Nous voulons renouer avec la radicalité de l’idée démocratique, oubliée et galvaudée par le discours politique et médiatique ambiant. « La » démocratie n’est pas un régime politique. La démocratie est une idée, un principe foncièrement subversif, qui affirme l’égalité de chacune et chacun. Certains régimes politiques sont plus démocratiques que d’autres. Aucun n’est démocratique par essence. L’idéal démocratique doit par conséquent être toujours et encore poursuivi, notamment à travers une exigence d’égalité réelle entre les hommes et les femmes, à travers le respect des droits des personnes migrantes, à travers la défense de la séparation des églises et de l’Etat qui permet la liberté de conscience dans une société plurielle, à travers l’exigence d’un accès public systématique aux données publiques conjugué à une protection rigoureuse de la vie privée.

4. Méthode

Le rassemblement que nous proposons, nous voulons d’abord le caractériser par une méthode de travail car nous sommes convaincus que l’alternative politique passe prioritairement par une réflexion sur le « comment ».

Information et éducation. La coopérative se conçoit en premier lieu comme un organe d’information citoyenne et d’éducation populaire. La politique n’est pas qu’une affaire de spécialistes. VEGA se veut mise en réseau des énergies, des savoirs et des expériences de chacun.

Des réponses citoyennes aux problèmes d’aujourd’hui. Dans des ateliers thématiques ou via des outils collaboratifs numériques, les membres et sympathisants de VEGA seront invités à contribuer à la construction d’une réponse citoyenne aux défis qui se posent aujourd’hui à la ville et à notre société.

Un outil de résistance concrète. À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle : le monde politique a de moins en moins les clés du royaume en main et se trouve de plus en plus être le jouet de puissances qui le dépassent. Ce n’est pas inéluctable. Il faut que le plus grand nombre se reforme en une puissance apte à influer dans le rapport de force. Pour cela, il faut permettre à chacune et chacun d’apporter sa pierre à l’édifice. Contre les ravages du capitalisme, il faut lutter à tous les niveaux et VEGA se présente d’abord comme un lieu de résistance et d’action au niveau communal.

Complémentarité et modestie. Nous voulons enfin que notre initiative puisse interagir avec d’autres forces politiques lorsque cela nous semble pertinent. Nous sommes persuadés que nous n’aurons pas raison tout seuls, que le pluralisme et les alliances — et donc certaines synthèses — sont indispensables.

Nous la voulons enfin modeste. Nous ne ferons pas de promesses impossibles à tenir. Nous ne ferons pas croire à celles et ceux qui sont prêts à nous accorder leur confiance que nous sommes en mesure de changer, seuls et rapidement, tout ce que nous voudrions changer. Dans l’immédiat, nous chercherons surtout à agir dans des interstices.

5. Conclusion

Il y a urgence à faire une politique qui réponde aux besoins des « 99% ». De l’enseignement à l’action sociale, en passant par l’aménagement des espaces publics, le logement ou la culture, la ville est un acteur essentiel pour lutter contre les inégalités et proposer une politique qui assume les valeurs de la gauche. Dans toutes ces matières, nous voulons défendre un droit à la ville effectif et ambitieux, c’est-à-dire l’autogestion collective de la ville par ses habitants, en accordant une primauté au droit d’usage sur le droit de propriété. En créant VEGA, coopérative rouge et verte, nous voulons retrouver la possibilité de « faire prise ».

Ce texte est notamment inspiré des auteurs suivants : Christian Arnsperger, Jacques Généreux, Susan George, André Gorz, Marcela Iacub, Naomi Klein, Pierre Larrouturou, Serge Latouche, Henri Lefebvre, Frédéric Lordon, Karl Marx, Jean-Luc Mélenchon, Hartmut Rosa, Richard Sennett, Richard Stallman, Isabelle Stengers, Emmanuel Todd.