Pourquoi le Bus à haut niveau de service n’est pas un bon choix sur l’axe Ans-Chênée

Note de synthèse - avril 2024 - François Schreuer

Le projet de l’OTW

Rappelons que l’Opérateur de transport de Wallonie (OTW) porte le projet de quatre lignes de BHNS sur trois axes, sous le nom commercial « Busway » :

  • Ligne B1 Ans - MontLégia - Saint-Lambert - République Française - Chênée
  • Ligne B2 Guillemins - Sart-Tilman - CHU - Botanique
  • Ligne B3 République Française - Médiacité - Sart-Tilman - CHU
  • Ligne B4 Léopold - Robermont - Beyne-Heusay - Fléron

Le projet est actuellement au stade de l’étude d’incidences (à l’exception du Sart Tilman, dont le chantier vient de commencer). L’OTW annonce une entrée en service pour 2025 (B2) et 2027 (les trois autres) et un budget total d’une centaine de millions.

L’alternative PS-VEGA

Face à cette proposition, le PS et VEGA ont présenté, lundi 2 mai, parmi d’autres propositions constituant une vision d’ensemble pour l’avenir du transport public dans l’agglomération, une alternative concernant l’axe Ans-Chênée (« Transurbaine ») qu’on peut résumer rapidement :

  • Laisser souffler le centre-ville liégeois, en y limitant fortement, pendant plusieurs années, les chantiers touchant l’espace public.
  • Renoncer à la ligne B1 telle que proposée (avec une reconfiguration complète des voiries), mais mettre en place très rapidement une ligne de bus reliant le MontLégia à Chênée (via les places Saint-Nicolas, de l’Yser et la rue Natalis), avec des mesures de priorisation légères et peu coûteuses (sites propres peints sur les voiries existantes, mise à double sens des rues Surlet et Méan).
  • Maintenir les axes Busway vers Fléron et le Sart Tilman, en améliorant et renforçant le projet présenté par l’OTW — et notamment en prolongeant la ligne B4 jusqu’au CHR voire Vottem à l’Ouest, jusqu’à Soumagne à l’Est, en prévoyant la desserte de l’hôpital des Bruyères par cette même ligne, en réalisant un site propre continu entre Leman et Belle-Jardinière, etc.
  • Lancer rapidement les études puis la procédure de permis d’une deuxième ligne de tram sur cet axe, via Yser et Natalis (ainsi qu’un barreau Sud entre Leman et Georges-Ista), avec l’objectif d’obtenir un engagement budgétaire du gouvernement wallon après les élections de 2029.

Arguments

Pourquoi présenter cette alternative ?

Un dimensionnement insuffisant

La principale raison qui nous amène à remettre en cause le choix du BHNS sur l’axe de la Transurbaine, c’est son manque de capacité par rapport à la demande sur l’axe — a fortiori par rapport à la demande prévisible à moyen terme.

En effet, dans sa configuration maximale annoncée (fréquence et matériel roulant), le projet prévoit une capacité théorique de 2400 usagers/heure/sens — une demande qui est déjà dépassée aujourd’hui à l’heure de pointe sur la partie centrale de cet axe, mais surtout il est très probable que cette demande croisse fortement si la qualité du service augmente de façon significative (ce qui sera indubitablement le cas si on choisit le tram), au vu des piètres performances actuelles (cf. le temps nécessaire à parcourir la rue Grétry à la pointe du matin, par exemple).

La volonté gouvernementale de multiplier par 2,5 (et plus encore dans les zones urbaines denses) la part modale du transport public (« vision FAST »), l’éventualité d’aller vers la (quasi) gratuité du transport public (pour certains publics voire pour l’ensemble des usagers, comme le souhaite le PS) ou l’évolution attendue des prix de l’énergie sont des facteurs qui sont de nature à accroître encore cette demande.

Pointons en outre que :

  • La population située le long de l’axe de la Transurbaine est sensiblement supérieure à celle qui se trouve le long de l’axe 1 (données INS).
  • La Transurbaine est au moins aussi bien connectée au réseau ferroviaire que la ligne 1 (gare d’Ans, gare de Liège-Palais, gare de Chênée et potentiellement la gare d’Angleur et un point d’arrêt à rouvrir à la Bonne-Femme) et jouera probablement un rôle important dans l’accès des usagers du rail aux fonctions centrales de la ville.
  • Tout comme la ligne 1, une ligne 2 verrait d’importants rabattements de bus s’opérer à ses terminus et en d’autres points.
  • Contrairement à la ligne 1, la Transurbaine dessert un hôpital majeur (le Mont-Légia) et le plus grand centre commercial de la ville (Médiacité), deux infrastructures qui sont aujourd’hui génératrices de très nombreux déplacements automobiles.
  • Une dizaine de milliers de logements sont actuellement en projet le long de la Transurbaine. Si ces projets sont pensés autour d’une ligne de tram, il est possible qu’ils génèrent moins de déplacements automobiles supplémentaires et plus de demande de mobilité collective — ce qui est souhaitable.

Un impact urbain insuffisant

Nous avons besoin de leviers pour réussir la reconversion de nos deux dernières autoroutes urbaines (Bld de l’automobile et Cadran-Burenville) et pour favoriser une urbanisation qualitative des nombreuses friches situées le long de la Transurbaine (ce qui permettra à rebours de préserver de nombreux espaces verts). Le tram a cette capacité ; beaucoup plus que le BHNS.

Nous n’ignorons pas, cependant, qu’il existe une forte attente dans les quartiers riverains de ces autoroutes urbaines pour une amélioration rapide de la situation. Ce qui plaide pour l’aménagement anticipé de certains sites clés, notamment le rond-point de Fontainebleau (liaison entre les deux parties de Sainte-Marguerite) et le quai des Ardennes à hauteur de Chênée (problématique de l’accès au quartier).

Un projet insuffisamment abouti

Sur de nombreux points le projet présenté par l’OTW n’est pas à la hauteur de ce que l’on peut attendre, par exemple (parmi de très nombreux manquements) :

  • Le tracé proposé perpétue voire renforce la monocentralité du réseau TEC, à l’inverse d’un principe de maillage. Il est marqué par une forte logique de pénétration urbaine, au détriment de la desserte des quartiers. Le choix de faire passer la Transurbaine par le pont Kennedy plutôt que par Outremeuse, en particulier, est singulièrement contestable.
  • Entre Amercoeur et Beyne, aucun autre aménagement n’est prévu que des quais d’embarquement. Les bus seront pris dans le trafic comme c’est le cas aujourd’hui (même s’il est prévu que les bus à l’arrêt bloquent les voitures derrière eux, ce qui, soit dit en passant, ne manquera pas de susciter des tensions entre modes). Les usagers de cet axe, à qui le TEC promet un niveau de service « comparable au tram » (sic), déchanteront rapidement.
  • Tout comme cela a été le cas pour la ligne 1 du tram (place Leman, place des Déportés, Coronmeuse, etc), les aménagements d’espace public sont beaucoup trop peu qualitatifs (place Saint-Nicolas, place de l’Yser, Fontainebleau, place Georges-Ista…). Ce n’est pas le métier de l’OTW de réaliser des places publiques vivantes et fonctionnelles et ça se voit : des bureaux spécialisés devraient se voir confier ce type de missions. Le choix de passer par la rue Grétry jusqu’à la Bonne-Femme plutôt que de rejoindre le Boulevard de l’automobile via Natalis nous prive aussi d’une reconversion complète de cette autoroute urbaine (et d’une desserte du pôle Natalis).
  • L’absence de site propre à double sens entre Fragnée et Belle-Jardinière augure du maintien d’un point de congestion sur la liaison — stratégique — vers le Sart Tilman. Résoudre ce problème demanderait de rogner les talus situés le long de la rue d’Ougrée et, surtout, de reconstruire le viaduc du chemin de fer pour permettre le passage à quatre bandes (à quoi il faut ajouter des pistes cyclables, actuellement absentes, ainsi que des cheminements piétons, aujourd’hui très insécurisants). C’est un investissement pertinent si l’on veut assurer un service fiable vers le Sart Tilman. Le choix de concentrer le budget du projet sur les lignes 2, 3 et 4 permettra ce type d’investissement.
  • Un matériel roulant peu adapté : le choix de bus électriques sur batteries pose question pour des lignes qui devront gravir des dénivelées importantes avec un très grand nombre de passagers (en particulier l’axe vers le Sart Tilman). Le fait que le matériel roulant ait été commandé sans attendre l’évaluation du projet encore plus.

Un niveau de service peu crédible

Les performances annoncées (une vitesse commerciale de 20 km/h) nous semblent peu voire pas du tout crédibles : lorsqu’on observe les performances d’autres réseaux en Europe, on voit que cette vitesse est rarement approchée par des lignes de bus urbaines, et jamais sans un site propre intégral, dont on reste très loin ici.

Plus généralement, même si le BHNS améliorera bien sûr l’expérience des usagers actuels du réseau, il n’atteint pas la qualité du service que peut offrir un tram en site propre (confort, vitesse, fiabilité…).

Un projet dont le coût est sous-évalué

Le budget annoncé par l’OTW (il a été question de 80, puis 90 puis 100 millions) ne permettra pas de réaliser le projet tel qu’annoncé.

Les références européennes (Nantes, notamment, qui est régulièrement évoquée) ou wallonne (puisque Charleroi porte un projet de deux axes) pour du BHNS nous permettent d’observer des budgets de 10 à 12 millions d’euros au kilomètre. On en est loin, très loin, ici : 3,7 millions d’euros du km, 

Avec ce montant, on peut s’attendre à du « bricolage », loin d’une infrastructure apportant pleinement satisfaction, que ce soit du point de vue du service aux usagers ou de la reconfiguration des espaces publics.

Un projet très difficilement « tramifiable »

Face aux critiques visant le dimensionnement de la ligne B1, le ministre, l’OTW et d’autres intervenants ont expliqué et continuent à expliquer que le projet serait « tramifiable » — c’est-à-dire convertible en tram — dans un horizon imprécis.

Cette option n’est pas crédible selon nous, pour de multiples raisons :

  • L’assiette du Busway n’a pas été dessinée pour être compatible avec les contraintes techniques d’un tram (rayon de giration, insertion dans l’espace urbain d’arrêts de longueur suffisante, pente adaptée…). L’OTW, tout en soutenant que son projet est « à 80% tramifiable » a été jusqu’à prévoir de planter des arbres dans des endroits où le tram devrait pouvoir passer à l’avenir.
  • Le projet ne prévoit pas de déplacer les impétrants en dehors de l’assiette : une éventuelle tramification impliquerait dès lors de détruire une grande partie des aménagements réalisés pour le Busway, ce qui représenterait un important gaspillage de moyens publics.
  • Si le projet était modifié pour répondre aux deux points précédents, son coût serait très sensiblement augmenté.
  • Une tramification impose une voie double. Or, tout le long du Bld de l’automobile, le BHNS est implanté sous la forme de deux voies distinctes, latérales aux voiries automobiles.
  • L’usage éventuel de fonds FEDER interdira qu’on démolisse l’infrastructure avant 20 ans, même pour la remplacer par une autre plus capacitaire.
  • Personne n’imagine qu’il soit politiquement défendable d’imposer, à une dizaine d’années d’intervalle, un double chantier aux riverains.
  • À ce jour, aucune ligne BHNS dans le monde n’a d’ailleurs été tramifiée ou n’est officiellement prévue pour l’être, alors même qu’un certain nombre d’entre elles sont arrivées à saturation.

Bref, choisir le Busway, c’est se condamner à n’avoir rien d’autre pendant au moins une génération.

Un projet dépourvu d’interopérabilité avec la ligne 1

Enfin, le choix d’un standard technique différent de celui de la ligne 1 sur un axe aussi structurant que celui de la Transurbaine nous privera de la possibilité de mettre en place (au pire à l’expiration du PPP de la ligne 1, si l’exploitant devait continuer à se montrer déraisonnable dans le coût d’accès à l’infrastructure dépendant de lui) des services utilisant les deux axes, ce qui pourrait être particulièrement utile, par exemple :

  • Une ligne Ans/Herstal via Saint-Lambert, qui permettra de limiter la congestion probable de la station Saint-Lambert.
  • Une ligne Saint-Nicolas/Guillemins via la rive droite, offrant un accès direct aux Guillemins depuis Outremeuse ou le Longdoz.
  • Une ligne Jemeppe/Chênée

Utiliser le même standard technique que celui de la ligne 1 permettrait par ailleurs, une fois le PPP terminé, d’optimiser la dépense publique au niveau de la formation du personnel, des marchés de matériel roulant, de la maintenance, etc.

Une concertation minimale

Enfin, soulignons que l’OTW, ainsi qu’il en a la regrettable habitude, s’est limité au strict minimum en matière de concertation autour de son projet, aussi bien vis-à-vis des citoyens (une seule réunion publique d’information, à peine quinze jours, en période de vacances, pour remettre des remarques préalables à l’EIE, non diffusion de l’étude de mobilité, etc) que vis-à-vis des communes (aucun Conseil communal n’a eu l’occasion de connaître du projet jusqu’à présent). En pratiquant de la sorte, la direction de l’OTW ne doit pas s’étonner qu’un projet aussi important — et aussi problématique — suscite d’importantes levées de bouclier.

Contre-arguments

Passons rapidement en revue les contre-arguments exprimés ces derniers jours contre la position exprimée par le PS et VEGA.

« Il est trop tard pour revoir le projet »

Au contraire, alors que l’étude d’incidences n’a même pas encore été publiée, nous sommes dans le bon tempo pour revoir le projet (notamment à la lumière de ladite étude dont c’est le rôle que de permettre d’adapter des projets).

« Le budget va être perdu »

Dès lors que la proposition défendue consiste, après avoir acté le caractère insuffisant du budget, à proposer de concentrer celui-ci sur les axes vers Fléron et vers le Sart Tilman, non le budget ne sera pas perdu.

« C’est infinançable »

Le coût de cette ligne de tram avoisinera les 500 ou 600 millions d’euros, soit un amortissement de l’ordre de 20 millions d’euros par an. Cette somme est à comparer au coût pour l’Etat fédéral de la défiscalisation des voitures de société (de l’ordre de 4 milliards d’euros par an) ou aux dépenses que les ménages liégeois consentent pour leur mobilité automobile (de l’ordre de 2 milliards d’euros par an). Un fonds fédéral pour le transport public (finançant des projets régionaux sur le principe du Plan de relance) abondé par une réduction de 20% de l’avantage fiscal sur les voitures de société serait doté d’un montant de l’ordre de 800 millions d’euros par an. De quoi réaliser par mal de choses.

Par ailleurs, le choix d’investir dans le transport public doit s’apprécier de manière systémique, en intégrant les nombreux bénéfices que ces infrastructures apportent : réduction de la pollution donc impact positif sur la santé (et donc sur la Sécurité sociale), a fortiori quant on profite du tram pour apaiser la ville et créer des infrastructures vélo de qualité, amélioration de la balance commerciale quand on remplace des carburants importés par de l’électricité produite de façon domestique, avantage économique d’une mobilité plus fluide, retour en fiscalité locale des projets qui fleurissent le long des axes de transport structurant, impact positif à long terme d’une ville plus dense, plus agréable à vivre et donc plus attractive, qui s’étale dès lors moins dans le périurbain, etc.

« Il faudra réaliser des expropriations »

En effet, deux maisons et un petit immeuble de deux étages (ni plus ni moins) devront être détruits rue Saint-Nicolas pour permettre au tram de tourner en direction de la rue de l’Espérance. On peut y ajouter six maisons rue Bagolet qu’il serait souhaitable (mais pas indispensable) de détruire dans tous les cas si l’on souhaite pouvoir élargir la voirie afin de créer un site propre (tram ou BHNS) entre Burenville et Fontainebleau.

« La pente est trop forte pour monter jusqu’à Ans en tram »

Le tronçon le plus problématique, sur le tracé de la ligne 2, est celui qui relie le rond-point de Fontainebleau au premier rond-point de Burenville. Entre ces deux points, il y a 57 mètres de dénivelée et 1,1 km de distance, soit une pente moyenne d’environ 5%. Un Tramway Citadis (surbaissé) est capable de franchir 6% de dénivelée, voire un peu plus.

Il est important de vérifier localement que la pente ne dépasse pas cette norme de 6% — et éventuellement la rectifier un peu pour qu’elle soit plus régulière. Et s’il le faut vraiment (mais ça ne paraît a priori pas nécessaire), on pourra mettre l’arrêt de Fontainebleau sur pilotis (ne pas le faire redescendre complètement dans le vallon de la Legia en arrivant d’Hocheporte) ou allonger un peu le tracé, en s’écartant de la rue Bagolet. Deux solutions pour adoucir la pente. D’où l’importance d’étudier le projet rapidement pour mesurer toutes les implications urbanistiques qu’il peut avoir.

« Ça prive les usagers de toute solution avant dix ans »

Non, la proposition inclut la mise en place rapide (et possiblement beaucoup plus rapide que la ligne Busway) d’une ligne de bus renforcée. Simplement, il nous soutenons qu’il n’est pas pertinent de réaliser un aménagement lourd en sachant que celui-ci devra être détruit à moyenne voire à brève échéance.

Illustration : le Busway de Nantes.

 

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